Groupe Rissois d'Histoire Locale. Association "loi 1901"
24 Janvier 2021
La décision royale de convoquer les États généraux et de demander aux communautés d'habitants d'exprimer leurs doléances est l'aboutissement d'un long conflit entre les ministres réformateurs et les portes-parole des ordres privilégiés, notables et Parlement, de février 1787 à août 1788. Les États sont chargés essentiellement de trouver des remèdes à l'impasse financière où se trouve la monarchie. Le roi demande aux paroisses d'exprimer en outre leurs doléances sur les abus, les sujets de mécontentement ainsi que leurs désirs de réforme.
Les citoyens réunis dans l'église rédigent leur cahier de doléances, c'est l'instituteur-greffier qui écrit (dessin de Jacqueline Clavreul)
Ris et Orangis agissent de façons très différentes, selon leurs populations respectives et les tendances des rédacteurs. Ris compte à l'époque environ 500 habitants et un peu plus de 100 chefs de famille susceptibles d'être présents à l'Assemblée. Seuls les sujets âgés de plus de 25 ans et payant pour la taille étaient autorisés à élire des délégués pour la réunion générale du Tiers à l'Archevêché de Paris et à rédiger les doléances.
On trouve 27 noms de signataires au bas du cahier de Ris, sans mention de ceux qui ne savent pas signer. On peut donc penser que près d'un tiers des habitants du village étaient rassemblés dans l'église. C'est une proportion significative.
À Orangis, on note trois signataires pour une population d'une dizaine de feux, ou foyers fiscaux. Il s'agit de personnes aisées, de notables, mais la différence essentielle tient au nombre et au contenu des articles.
Tandis que le cahier d'Orangis n'en comprend que neuf, assez brefs, celui de Ris est l'un des plus longs et des plus détaillés de la région avec 57 articles. Ils ne se ressemblent absolument pas ! Bien que les articles soient souvent mélangés et rédigés dans l'ordre proposé par les intervenants et non selon un ordre préalablement fixé, nous les avons regroupés par thème pour en souligner l'importance et l'originalité.
16 articles du cahier de Ris sur 57 traitent directement ou indirectement de sujets de politique générale ou particulière.
Les propositions sur l'organisation et le fonctionnement des États généraux sont particulièrement nets. On sait que le Tiers État aura autant de représentants que les deux ordres privilégiés réunis. Le respect de cette règle définitive du doublement du Tiers est exigé à l'article 33, mais ce n'est pas suffisant. Si l'on vote par ordre, chaque ordre disposant d'une voix, le Tiers risque, malgré le doublement de ses députés, de se retrouver seul contre le clergé et la noblesse. D'où le rappel sans ambiguïté, à l'article 34, de la volonté de délibérer par tête. Pour que le Tiers puisse l'emporter il faut : « que l'on délibère dans l'assemblée des États généraux, par tête et non par ordre. » Il n'est pas fait mention de la nécessité d'une Constitution pour conseiller ou limiter le pouvoir royal, mais du vœu ferme d'un « retour périodique des États généraux fixé à trois ans », alors que d'autres cahiers n'en parlent pas ou fixent une échéance plus lointaine.
Le cahier traite dans plusieurs articles de la nécessaire réforme de l'administration royale, jugée trop compliquée et trop onéreuse.
Les Rissois attaquent les « vénalités des charges » et ses conséquences (art. 45 et 46). Les administrateurs achètent en effet leurs charges sans en avoir toujours les compétences et exigent des épices et des pots-de-vin des administrés et des justiciables ! Il faut procurer au peuple des « magistrats intègres et éclairés ». Les nombreux intermédiaires administratifs - procureurs, huissiers, notaires - perçoivent souvent des honoraires arbitraires. Le cahier propose que les frais soient réduits et affichés pour éviter tout abus (art. 48, 49, 50). Il dénonce aussi les droits excessifs prélevés par l'administration des Eaux et forêts. La volonté de simplification et de transparence de l'administration est donc manifeste.
On désire mettre fin à l'arbitraire royal par la suppression des « lettres de cachet » (art. 30) qui permettent au monarque d'envoyer au cachot qui bon lui semble.
Parmi les libertés auxquelles ont droit « tous citoyens », est mise en évidence la liberté conditionnelle de la presse, alors que quelques journaux et périodiques sont seuls autorisés à paraître, après avis de la commission de censure. Cette liberté qui se conquiert au moment de la rédaction des cahiers ne peut cependant aller jusqu'à la critique du Roi et de la religion !
6 articles au moins dénoncent le fonctionnement d'une justice trop compliquée, coûteuse et inégale. Ces articles groupés forment un véritable programme.
Les habitants de Ris proposent que l'on abolisse les charges inutiles des huissiers priseurs, personnages très impopulaires (art. 25). Les procédures en cas de décès et de faillite en seront allégées (art. 26). Mais ces aspects ponctuels sont dépassés par les demandes de l'égalité des peines entre individus de conditions différentes (art. 28), et par le souci de la rédaction de codes clairs, au civil et au criminel, qui supprimeront l'arbitraire permanent et déboucheront sur le respect des droits des citoyens (art. 27 et 29). Ce thème est donc abordé avec rigueur et progression.
La question fiscale est traitée dans une dizaine d'articles, ce qui ne peut surprendre, puisque l'on touche à l'origine de l'appel monarchique aux États généraux.
Le cahier de Ris va au-delà des revendications moyennes des alentours. Comme les autres cahiers, il propose l'égalité fiscale pour « tout citoyen, de quelque qualité qu'il soit » (art. 12), mais il revendique également l'abolition des principaux impôts indirects, sur le sel (gabelle), sur le tabac et sur la circulation des boissons (aides) (art. 21). Par un trait de mentalité assez courant, les Rissois ne précisent pas les impôts indirects susceptibles de remplacer les précédents, mais ils se prononcent avec fermeté pour une taxation particulière des privilégiés et des nantis. Ils détaillent ainsi les éléments à imposer : les ventes seigneuriales (art. 13), les résidences secondaires et maisons de campagne (art. 14), les produits de luxe des gros marchands et riches consommateurs (art. 35), les signes extérieurs du train de vie nobiliaire comme les domestiques (art. 37), les carrosses et les chiens de chasse (art. 36). La vision de l'égalité fiscale paraît à la fois pratique, radicale et proportionnelle aux fortunes et modes de vie, sur fond de critique sociale.
Les Rissois contestent l'arrêt du Conseil d'État du Roi qui confirme Anisson Dupéron dans son droit d'exploitation du bac
Si Anisson Dupéron n'est pas nommé directement, il paraît contesté par une partie importante de la communauté. Celle-ci demande dans 8 articles que cessent certains comportements seigneuriaux qui lui sont préjudiciables. Le seigneur doit désormais payer lui-même la confection des papiers terriers - cahiers qui recensent toutes les redevances dues par les censitaires - alors que cette charge incombait aux habitants (art. 6). Les déclarations et plus généralement tous les titres et actes seigneuriaux doivent être vérifiés par des « commissaires ad hoc », surtout lorsqu'ils ont été injustement obtenus contre leurs vassaux (art. 3 et 6). Ceux-ci n'acceptent de racheter les droits réels qu'ils acquittent jusque-là - champart, terrage, droits de ban de vendange, de banalités de pressoir - que s'ils sont fondés sur des « titres valables » (art. 4).
C'est une démarche partagée par de nombreuses communautés pour se défendre contre la réaction seigneuriale, récupération par de nombreux seigneurs de droits multiples parfois oubliés.
Le taux de rachat de certains autres droits de succession sera fixé par les États généraux pour éviter l'arbitraire local (art. 5). Le seigneur doit abattre ses pigeons et supprimer ses colombiers, si nuisibles pour les récoltes (art. 11). Il ne pourra plus désigner lui-même un procureur fiscal pour contrôler l'assiette et le recouvrement des impôts, « vu le grand abus qui en résulte », cette désignation étant du ressort de la communauté même.
Enfin deux griefs surgissent, suffisamment détaillés pour que perce l'amertume des Rissois à l'égard de leur seigneur. Ce dernier est prié de fournir à la commune de Ris des carrières d'argile et de sable pour la « construction et la réparation des édifices », ainsi que les poteaux de signalisation routière, à sa charge (art. 7).
Surtout des litiges apparaissent sur le fonctionnement du bac de La Borde qui relève du seigneur et de son fermier « par faveur ». Le service du bac doit être nationalisé et non profiter au seul seigneur à qui il rapporte 800 livres par an. Il doit être assuré avec exactitude et selon un tarif affiché aux frais du seigneur.
La fermeté de ces articles ne laisse aucun doute sur les nombreux conflits latents entre seigneur et communauté. Elle permet de bien comprendre les affrontements ultérieurs, surtout lorsqu'on connaît la personnalité des deux élus de Ris pour l'assemblée du Tiers à l'Archevêché de Paris, Guillaume Raby, le bouillant orateur et Gabriel Sallin, l'épicier aux lectures philosophiques et contestataires, syndic du village !
9 articles sont consacrés à des questions concrètement liées à l'existence de tous les jours. Les habitants se plaignent de la trop grande cherté des prix pour les « grains et la viande » (art. 1), et demandent que les prix en soient taxés de façon raisonnable. Dans cette période de pénurie consécutive à l'orage de grêle de l'été précédent, ils proposent de prendre des mesures contre les accapareurs et les spéculateurs, et de supprimer les douanes intérieures (art. 22). Ils demandent avec netteté l'autorisation de détruire eux-mêmes le gibier, « fléau le plus nuisible à l'amélioration de l'agriculture » (art. 2), une fois « l'infâme droit de chasse » aboli (art. 56). Les habitants pourraient donc être armés pour leur protection, ce qui dépasse la revendication banale de bien des paroisses. Ils ne veulent plus de la milice royale qui oblige à tirer au sort certains jeunes du village, les enlevant ainsi aux travaux des champs, et aux soins de leur famille (art. 23).
Ils demandent un système unique et généralisé à tout le royaume pour les poids et mesures (art. 19) afin d'éviter la complexité des mesures locales, parfois différentes entre des paroisses limitrophes.
Enfin ils s'élèvent contre les privilèges de la sépulture dans les églises, et pour que les cimetières soient situés hors du village.
Le cahier des habitants de Ris aborde donc de multiples questions d'intérêt soit local, soit général. Malgré le manque de classement des articles il est bien rédigé et très ferme sur le fond. Les formules habituelles comme les « très humbles et très respectueuses supplications » ne doivent pas nous abuser. Les habitants présents ont dressé un réquisitoire précis et très contestataire des abus, vexations et injustices auxquels ils sont confrontés.
Deux ans plus tard, l'essentiel de leurs doléances sera appliqué dans le sens souhaité par les Rissois. Assez original par la conception d'ensemble, le cahier de Ris est un témoignage très précieux sur la situation d'une communauté à la veille de la Révolution et une introduction lucide pour la compréhension de cette Révolution au village !
Article 56 ...... L'agriculture fleurira par l'abolition de l'infâme droit de chasse (cartes des chasses du Roi, levées entre 1764 et 1773)
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À propos du livre Quand Ris et Orangis s'appelaient Brutus ou " La Révolution au village" 1789-1799. Dix années durant lesquelles s'affrontent le seigneur Anisson-Dupéron, les curés Delamazure...
http://grhl.fr/2019/04/collectif-quand-ris-et-orangis-s-appelaient-brutus-1989-2001.html
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